Lorsqu’elle se déplace, elle le fait sur la pointe des pieds mais dans une cadence rapide. Elle est pressée. Elle le répète machinalement, dans la rue quand on l’arrête, à sa mère au téléphone, au chauffeur de taxi qui l’amène à un rendez-vous professionnel. Elle est pressée alors que ce dont elle rêve, au fond d’elle, c’est que le temps s’arrête. Elle rêve de lenteur. Elle rêve du temps long de son enfance, couchée dans l’herbe, à imaginer ce qu’il se cache derrière les nuages.
Elle a parfois l’impression que son corps est habité par deux personnes. Elle est tellement tout et son contraire. Elle repense à cette chanson de Goldman que sa mère écoutait en boucle dans la voiture, fenêtres ouvertes, sur la route sinueuse des vacances. Elle est cette épaule forte et fragile à la fois.
Elle parle dans un souffle et respire en silence. Elle effleure, tout ce qu’elle touche, elle l’effleure. Elle est un murmure au creux de l’oreille, un frisson le long de la colonne vertébrale. Elle est une sensation bien avant d’être une présence et c’est ce qui fait qu’au-delà de la remarquer, on ne l’oublie pas.
À son retour du marché, elle a placé un bouquet de camomille dans un vase. Elle a écarté doucement les tiges pour leur laisser de l’espace, pour aérer les fleurs et mettre en valeur leur joli cœur bombé. Elle a toujours aimé la couleur jaune. Sa douceur et sa puissance. Cette ambivalence, encore. Elle pense soudain à cette plante originaire d’Afrique du Sud, qu’elle a découverte lors d’un voyage à la fin de ses études : honeybush. Une fleur sauvage qui ressemble à une boule de miel.
Elle aime les choses rondes, les courbes. Elle aime les paysages vallonnés et les vagues qui roulent sur le sable. Elle aime le chiffre 8, croquer dans une pomme juteuse et lorsque sa fille s’écrit “oh la la” avec sa petite bouche qui forme un “o”.
Elle pense à tout cela, assise au coin de la table en bois brut qui fait face à la fenêtre de son appartement. Elle enroule ses mains autour d’une tasse en grès héritée de sa grand-mère et regarde les volutes de fumée s’échapper de son infusion. Elle les regarde se mêler et danser avec le rayon de lumière qui transperce la vitre. Le soleil chauffe son visage, elle ferme les yeux. Il y aura bientôt le métro, les réunions et les dossiers à rendre. Mais pour l’instant, un brin d’herbe vient chatouiller son oreille droite et un nuage prend la forme d’une hirondelle. Alors elle plonge une dernière fois ses lèvres dans sa tasse et laisse ce doux mélange ancrer en elle cette furtive sensation d’infini.
Elle aime autant l’infini des soirées d’été et que se fondre dans un plaid au coin du feu.
À propos de Sophie Astrabie
Sophie Astrabie est l’autrice de trois romans. Son dernier : « Les bruits du souvenir » vient de paraître chez Flammarion. Chez L’infuseur nous suivons et aimons ses histoires qui racontent la vie, les vies, nos vies. Comme elle nous aimons le skate et ses 17 déménagements nous impressionnent ! Si vous ne la connaissez pas encore, nous vous invitons à commander ses livres et à la suivre sur son compte @sophieastrabie